SCÈNE II
CLAUDE FROLLO, PHOEBUS.
CLAUDE FROLLO, [arrêtant Phoebus au moment où il se [dispose à sortir.]
Capitaine!
PHOEBUS.
Quel est cet homme?
CLAUDE FROLLO.
Écoutez-moi.
PHOEBUS.
Dépêchons-nous!
CLAUDE FROLLO.
Savez-vous bien comment se nomme
Celle qui vous attend ce soir au rendez-vous?
PHOEBUS.
Eh, pardieu! c'est mon amoureuse,
Celle qui m'aime et me plaît fort;
C'est ma chanteuse, ma danseuse,
C'est Esmeralda.
CLAUDE FROLLO.
C'est la mort.
PHOEBUS.
L'ami, vous êtes fou, d'abord;
Ensuite, allez au diable!
CLAUDE FROLLO.
Écoutez!
PHOEBUS.
Que m'importe?
CLAUDE FROLLO.
Phoebus, si vous passez le seuil de cette porte….
PHOEBUS.
Vous êtes fou!
CLAUDE FROLLO.
Vous êtes mort!
Tremble! c'est une égyptienne!
Elles n'ont ni loi, ni remord.
Leur amour déguise leur haine,
Et leur couche est un lit de mort!
PHOEBUS, riant.
Mon cher, rajustez votre cape.
Rentrez à l'hôpital des fous;
Il me paraît qu'on s'en échappe.
Que Jupiter, saint Esculape,
Et le diable soient avec vous!
CLAUDE FROLLO.
Ce sont des femmes infidèles.
Crois-en les publiques rumeurs.
Tout est ténèbres autour d'elles.
Phoebus, n'y va pas, ou tu meurs!
[L'insistance de Claude Frollo paraît troubler Phoebus, qui
considère son interlocuteur avec anxiété.]
PHOEBUS.
Il m'étonne,
Il me donne
Malgré moi quelques soupçons.
Cette ville,
Peu tranquille,
Est pleine de trahisons.
CLAUDE FROLLO.
Je l'étonne,
Je lui donne
Malgré lui quelques soupçons.
L'imbécile,
Dans la ville,
Ne voit plus que trahisons.
Croyez-moi, monseigneur, évitez la sirène
Dont le piége vous attend.
Plus d'une bohémienne
A poignardé dans sa haine
Un coeur d'amour palpitant.
[Phoebus, qu'il veut entraîner, se ravise et le repousse.]
PHOEBUS.
Mais suis-je fou moi-même?
Maure, juive ou bohème,
Qu'importe quand on aime?
L'amour doit tout couvrir.
Laisse-nous! il m'appelle!
Ah! si la mort, c'est elle,
Quand la mort est si belle,
Il est doux de mourir!
CLAUDE, [le retenant.]
Arrête! Une bohème!
Ta folie est extrême!
Oses-tu donc toi-même
A ta perte courir?
Crains la femme infidèle
Qui dans l'ombre t'appelle.
Mais quoi! tu cours près d'elle?
Va, si tu veux mourir!
[Phoebus sort vivement, malgré Claude Frollo. Claude Frollo reste
un moment sombre et comme indécis; puis il suit Phoebus.]
SCÈNE III.
[Une chambre. Au fond, une fenêtre qui donne sur la rivière.]
[Clopin Trouillefou entre, un flambeau à la main; il est accompagné de quelques hommes auxquels il fait un geste d'intelligence, et qu'il place dans un coin obscur où ils disparaissent; puis il retourne vers la porte et semble faire signe à quelqu'un de monter. Dom Claude paraît.]
CLOPIN, [à Claude.]
D'ici vous pourrez voir, sans être vu vous-même,
Le capitaine et la bohème.
[Il lui montre un enfoncement derrière une tapisserie.]
CLAUDE FROLLO.
Les hommes apostés sont-ils prêts?
CLOPIN.
Ils sont prêts.
CLAUDE FROLLO.
Que jamais de ceci l'on ne trouve la source.
Silence! prenez cette bourse.
Vous en aurez autant après.
[Claude Frollo se place dans la cachette. Clopin sort avec précaution.
Entrent la Esmeralda et Phoebus.]
CLAUDE FROLLO, [à part.]
O fille adorée,
Au destin livrée!
Elle entre parée
Pour sortir en deuil!
LA ESMERALDA, [à Phoebus.]
Monseigneur le comte,
Mon coeur que je dompte
Est rempli de honte
Et rempli d'orgueil!
PHOEBUS, [à la Esmeralda.]
Oh! comme elle est rose!
Quand la porte est close,
Ma belle, on dépose
Toute crainte au seuil.
[Phoebus fait asseoir la Esmeralda sur le banc près de lui.]
PHOEBUS.
M'aimes-tu?
LA ESMERALDA.
Je t'aime!
CLAUDE FROLLO, [à part.]
O torture!
PHOEBUS.
O l'adorable créature!
Vous êtes divine, en honneur!
LA ESMERALDA.
Votre bouche est une flatteuse!
Tenez, je suis toute honteuse!
N'approchez pas tant, monseigneur!
CLAUDE FROLLO.
Ils s'aiment! que je les envie!
LA ESMERALDA.
Mon Phoebus, je vous dois la vie!
PHOEBUS.
Et moi, je te dois le bonheur!
LA ESMERALDA.
Oh! sois sage!
Encourage
D'un visage
Gracieux
La petite
Qui palpite
Interdite
Sous tes yeux!
PHOEBUS.
O ma reine,
Ma sirène,
Souveraine
De beauté!
Douce fille,
Dont l'oeil brille
Et pétille
De fierté!
CLAUDE FROLLO.
Les attendre!
Les entendre!
Qu'elle est tendre!
Qu'il est beau!
Sois joyeuse!
Sois heureuse!
Moi, je creuse
Le tombeau!
PHOEBUS.
Fée ou femme,
Sois ma dame!
Car mon âme,
Nuit et jour,
Te désire,
Te respire,
Et t'admire,
Mon amour!
LA ESMERALDA.
Je suis femme,
Et mon âme,
Toute flamme,
Tout amour,
Est, beau sire,
Une lyre
Qui soupire
Nuit et jour!
CLAUDE FROLLO.
Attends, femme,
Que ma flamme
Et ma lame
Aient leur tour!
Oui, j'admire
Leur sourire,
Leur délire,
Leur amour!
PHOEBUS.
Sois toujours rose et vermeille!
Rions à notre heureux sort,
A l'amour qui se réveille,
A la pudeur qui s'endort!
Ta bouche, c'est le ciel même!
Mon âme veut s'y poser.
Puisse mon souffle suprême
S'en aller dans ce baiser!
LA ESMERALDA.
Ta voix plaît à mon oreille;
Ton sourire est doux et fort;
L'insouciance vermeille
Rit dans tes yeux et m'endort.
Tes voeux sont ma loi suprême,
Mais je dois m'y refuser.
Ma vertu, mon bonheur même,
S'en iraient dans ce baiser!
CLAUDE FROLLO.
Ne frappez point leur oreille,
Pas rapprochés de la mort!
Ma haine jalouse veille
Sur leur amour qui s'endort!
La mort décharnée et blême
Entre eux deux va se poser!
Phoebus, ton souffle suprême
S'en ira dans ce baiser!
[Claude Frollo se jette sur Phoebus et le poignarde, puis il ouvre
la fenêtre du fond, par laquelle il disparaît. La Esmeralda tombe
avec un grand cri sur le corps de Phoebus. Entrent en tumulte les
hommes apostés, qui la saisissent et semblent l'accuser.
La toile tombe.]