II
L'oiseau Phénix et la planète Vénus.
Ils s'adoraient à faire envie.
Pécopin avait dans sa halle d'armes à Sonneck une grande peinture dorée représentant le ciel et les neuf cieux, chaque planète avec sa couleur propre et son nom écrit en vermillon à côté d'elle; Saturne blanc plombé; Jupiter clair, mais enflambé et un peu sanguin; Vénus l'orientale, embrasée; Mercure étincelant; la Lune avec sa glace argentine; le Soleil tout feu rayonnant. Pécopin effaça le nom de Vénus, et écrivit en place Bauldour.
Bauldour avait dans sa chambre aux parfums une tapisserie de haute lisse où était figuré un oiseau de la grandeur d'un aigle, avec le tour du cou doré, le corps de couleur de pourpre, la queue bleue mêlée de pennes incarnates, et sur la tête des crêtes surmontées d'une houppe de plumes. Au-dessous de cet oiseau merveilleux l'ouvrier avait écrit ce mot grec: Phénix. Bauldour effaça ce mot, et broda à la place ce nom: Pécopin.
Cependant le jour fixé pour les noces approchait. Pécopin en était joyeux et Bauldour en était heureuse.
Il y avait dans la vénerie de Sonneck un piqueur, drôle fort habile, de libre parole et de malicieux conseil, qui s'appelait Erilangus. Cet homme, jadis fort bel archer, avait été recherché en mariage par plusieurs riches paysannes du pays de Lorch; mais il avait rebuté les épouseuses et s'était fait valet de chiens. Un jour que Pécopin lui en demandait la raison, Erilangus lui répondit: Monseigneur, les chiens ont sept espèces de rage, les femmes en ont mille. Un autre jour, apprenant les prochaines noces de son maître, il vint à lui hardiment et lui dit: Sire, pourquoi vous mariez-vous? Pécopin chassa ce valet.
Cela eût pu inquiéter le chevalier, car Erilangus était un esprit subtil et une longue mémoire. Mais la vérité est que ce valet s'en alla à la cour du marquis de Lusace, où il devint premier veneur, et que Pécopin n'en entendit plus parler.
La semaine qui devait précéder le mariage, Bauldour filait dans l'embrasure d'une fenêtre. Son nain vint l'avertir que Pécopin montait l'escalier. Elle voulut courir au-devant de son fiancé, et en sortant de sa chaise, qui était à dossier droit et sculpté, son pied s'embarrassa dans le fil de sa quenouille. Elle tomba. La pauvre Bauldour se releva. Elle ne s'était fait aucun mal, mais elle se souvint qu'un accident pareil était arrivé jadis à la châtelaine Liba, et elle se sentit le cœur serré.
Pécopin entra rayonnant, lui parla de leur mariage et de leur bonheur, et le nuage qu'elle avait dans l'âme s'envola.
III
Où est expliquée la différence qu'il y a entre l'oreille d'un jeune homme et l'oreille d'un vieillard.
Le lendemain de ce jour-là Bauldour filait dans sa chambre et Pécopin chassait dans le bois. Il était seul et n'avait avec lui qu'un chien. Tout en suivant le hasard de la chasse, il arriva près d'une métairie qui était à l'entrée de la forêt de Sonn et qui marquait la limite des domaines de Sonneck et de Falkenburg. Cette métairie était ombragée à l'orient par quatre grands arbres, un frêne, un orme, un sapin et un chêne, qu'on appelait dans le pays les quatre Evangélistes. Il paraît que c'étaient des arbres-fées. Au moment où Pécopin passait sous leur ombre, quatre oiseaux étaient perchés sur ces quatre arbres: un geai sur le frêne, un merle sur l'orme, une pie sur le sapin et un corbeau sur le chêne. Les quatre ramages de ces quatre bêtes emplumées se mêlaient d'une façon bizarre et semblaient par instants s'interroger et se répondre. On entendait en outre un pigeon, qu'on ne voyait pas parce qu'il était dans le bois, et une poule, qu'on ne voyait pas parce qu'elle était dans la basse-cour de la ferme. Quelques pas plus loin un vieillard tout courbé rangeait le long d'un mur des souches pour l'hiver. Voyant approcher Pécopin, il se retourna et se redressa.—Sire chevalier, s'écria-t-il, entendez-vous ce que disent ces oiseaux?—Bonhomme, répondit Pécopin, que m'importe!—Sire, reprit le paysan, pour le jeune homme, le merle siffle, le geai garrule, la pie glapit, le corbeau croasse, le pigeon roucoule, la poule glousse; pour le vieillard, les oiseaux parlent.—Le chevalier éclata de rire.—Pardieu! voilà des rêveries.—Le vieillard repartit gravement:—Vous avez tort, sire Pécopin.—Vous ne m'avez jamais vu, s'écria le jeune homme, comment savez-vous mon nom?—Ce sont les oiseaux qui le disent, répondit le paysan.—Vous êtes un vieux fou, brave homme, dit Pécopin. Et il passa outre.
Environ une heure après, comme il traversait une clairière, il entendit une sonnerie de cor et il vit paraître dans la futaie une belle troupe de cavaliers; c'était le comte palatin qui allait en chasse. Le comte palatin allait en chasse accompagné des burgraves, qui sont les comtes des châteaux, des wildgraves, qui sont les comtes des forêts, des landgraves, qui sont les comtes des terres, des rhingraves, qui sont les comtes du Rhin, et des raugraves, qui sont les comtes du droit du poing. Un cavalier gentilhomme du pfalzgraf, nommé Gaïrefroi, aperçut Pécopin, et lui cria:—Holà, beau chasseur! ne venez-vous pas avec nous?—Où allez-vous? dit Pécopin.—Beau chasseur, répondit Gaïrefroi, nous allons chasser un milan qui est à Heimburg et qui détruit nos faisans; nous allons chasser un vautour qui est à Vaugsberg et qui extermine nos lanerets; nous allons chasser un aigle qui est à Rheinstein et qui tue nos émérillons. Venez avec nous.—Quand serez-vous de retour? demanda Pécopin.—Demain, dit Gaïrefroi.—Je vous suis, dit Pécopin. La chasse dura trois jours. Le premier jour Pécopin tua le milan, le second jour Pécopin tua le vautour, le troisième jour Pécopin tua l'aigle. Le comte palatin s'émerveilla d'un si excellent archer.—Chevalier de Sonneck, lui dit-il, je te donne le fief de Rhineck, mouvant de ma tour de Gutenfels. Tu vas me suivre à Stæhlech pour en recevoir l'investiture et me prêter le serment d'allégeance, en mail public et en présence des échevins, in mallo publico et coram scabinis, comme disent les chartes du saint empereur Charlemagne. Il fallait obéir. Pécopin envoya à Bauldour un message dans lequel il lui annonçait tristement que la gracieuse volonté du pfalzgraf l'obligeait de se rendre sur-le-champ à Stahleck pour une très-grande et très-grosse affaire.—Soyez tranquille, madame ma mie, ajoutait-il en terminant, je serai de retour le mois prochain.—Le messager parti, Pécopin suivit le palatin et alla coucher avec les chevaliers de la suite du prince dans la châtellenie basse à Bacharach. Cette nuit-là il eut un rêve. Il revit en songe l'entrée de la forêt de Sonneck, la métairie, les quatre arbres et les quatre oiseaux; les oiseaux ne criaient, ni ne sifflaient, ni ne chantaient, ils parlaient. Leur ramage, auquel se mêlaient les voix de la poule et du pigeon, s'était changé en cet étrange dialogue, que Pécopin endormi entendit distinctement:
Pécopin se réveilla, il avait une sueur froide; dans le premier moment il se rappela le vieillard et il s'épouvanta, sans savoir pourquoi, de ce rêve et de ce dialogue; puis il chercha à comprendre, puis il ne comprit pas; puis il se rendormit, et le lendemain, quand le jour parut, quand il revit le beau soleil qui chasse les spectres, dissipe les songes et dore les fumées, il ne songea plus ni aux quatre arbres, ni aux quatre oiseaux.